Résumé
Le manque de connectivité des voies cyclables protégées constitue une barrière majeure empêchant des cyclistes potentiels de laisser les modes motorisés de côté en faveur du vélo. Cependant, il n'existe pas de méthode standardisée, de «recette» magique, pour concevoir les réseaux cyclables de demain. Ce projet de recherche cherche à développer une méthode algorithmique afin d'orienter la prise de décision dans la croissance de réseaux cyclables. Les résultats présentés dans cet article sont préliminaires et constituent une démonstration du fonctionnement de l'algorithme.
Prérequis : la méthode de calcul de chemin
Plusieurs éléments de ce projet de recherche reposent sur la manière dont les itinéraires cyclables sont calculés. Fondamentalement, les réseaux de transports peuvent être représentés par des graphes, soit une collection de liens (rues) et de nœuds (intersections). Un itinéraire sur un réseau est donc représenté par une suite de liens empruntés entre deux nœuds : une origine et une destination. Cependant, il existe une infinité de chemins disponibles reliant une paire origine-destination (OD). Un de ces chemins sera le « meilleur », soit celui qui minimise une certaine quantité. Dans un contexte de transports, cette quantité pourrait être la distance parcourue, par exemple. Ainsi, pour chaque paire OD, il existe un chemin le plus court unique.
Si l’on pense au vélo, la distance parcourue n’est pas la seule quantité qui fera choisir un itinéraire plutôt qu’un autre. La présence d’infrastructures cyclables, et la distance parcourue sur des pentes sont des exemples d’éléments à considérer dans les calculs de chemins cyclables. Mathématiquement, cela revient à pondérer les liens de sorte que les chemins choisis représentent les préférences des cyclistes. Par exemple, on pourrait dire qu’un kilomètre parcouru sur une voie cyclable équivaut à deux kilomètres parcourus sur une rue sans infrastructure, autrement dit, la préférence relative de l’infrastructure cyclable par rapport aux rues normales est de 2 (P_r = 2). Ce facteur est représenté dans le coût généralisé des liens, analogue à la « distance » à minimiser. Ainsi, les chemins minimisant ce coût généralisé sont potentiellement un peu plus longs en distance, mais emprunteront plus de liens cyclables protégés. La figure ci-dessous montre un exemple de calcul de chemin pour deux valeurs de préférence relative de l’infrastructure cyclable.

Exemple d'un calcul de chemin entre une origine et une destination pour deux valeurs de préférence relative de l'infrastructure cyclable. À gauche, on ne fait pas de distinction entre les voies cyclables (en blanc) et les rues normales. Le chemin choisi est donc celui qui minimise la distance. À droite, on permet un nombre de détours arbitraire, donc toutes les voies cyclables entre l'origine et la destination sont empruntées. Le trajet de droite est cependant 2,26 fois plus long que la ligne OD à vol d'oiseau, là où celui de gauche n'était que 1,34 fois plus long. - Source : Loïc Miara
Variabilité spatiale des aménagements cyclables de la grande région de Montréal
Il est connu dans la littérature que le manque d’infrastructures cyclables constitue une barrière à l’adoption du vélo comme mode de transport. Nous étudions un sous-ensemble de demandes de déplacement dans la grande région de Montréal, soit les déplacements motorisés de l’enquête OD 2018 étant potentiellement cyclables, tel que définis par la méthodologie de Morency et al. (2021). Après avoir calculé tous les itinéraires, on observe que la proportion des déplacements étant effectuée sur de l’infrastructure cyclable protégée est hautement variable pour les différentes régions étudiées.

Proportion des trajets étant protégée pour les différentes régions de la grande région de Montréal, telles que définies par l'enquête OD 2018 (N = nombre de paires OD étudiées). L'extrémité droite du graphique correspond à un nombre arbitraire de détours, où on atteint environ 80% de l'itinéraire sur une voie protégée dans le centre de Montréal. - Source : Loïc Miara
DSans surprise, on voit que le réseau cyclable du centre de Montréal dessert le mieux la population, où il est possible de parcourir environ 70% de son itinéraire si l’on considère qu’un kilomètre de voie cyclable est 10 fois plus attrayant qu’un kilomètre sans infrastructure cyclable. Il est important de noter que P_r = 10 implique un taux de tortuosité moyen de 1,6, soit une distance parcourue 1,6 fois plus grande entre l’origine et la destination que la ligne à vol d’oiseau qui les relie. À l’autre extrême, on retrouve l’est de Montréal, où l’on n’accote pas le 10% de distance protégée en permettant autant de détours arbitraires que nécessaire. On observe donc une grande disparité dans la connectivité de l’infrastructure cyclable existante, ce qui empêche un potentiel de transfert modal des modes motorisés vers le vélo.
Un algorithme pour mieux connecter nos réseaux cyclables
Pour savoir par où s’y prendre pour remédier à ce problème, nous avons développé un algorithme qui fonctionne en 4 étapes :
- Calcul des itinéraires pour toutes les paires OD sur le territoire choisi. Ces itinéraires empruntent les liens pondérés avec la présence de voies cyclables comme expliqué plus haut, et tiennent compte de la présence de pentes sur les segments.
- Calcul d’une fonction de bénéfice B pour chacun des itinéraires. Ce bénéfice est une valeur associée à chaque itinéraire qui correspond à l’avantage d’ajouter sur tous les liens de cet itinéraire une voie cyclable protégée. On qualifie alors le déplacement de « réalisable », donc entièrement effectué sur des voies cyclables protégées. Cette notion est inspirée par un mémoire précurseur à ces travaux (Murray, 2024). Cette fonction B dépend ainsi du nombre de cyclistes-km protégés par kilomètre d’investissement conditionnellement à la construction de l’infrastructure et de la proximité de l’itinéraire avec les réseaux cyclables et de transport en commun. Les détails sont plus complexes que nécessaire pour cet article mais l’important est que la fonction de bénéfice est très modulaire et peut accommoder différents éléments à considérer.
- Identification des liens à ajouter au réseau cyclable en priorité. Ces liens sont ceux qui maximisent la fonction de bénéfice B.
- Recalcul des itinéraires avec le réseau modifié. Chaque paire OD est associée à un nombre de liens qui, si modifiés pendant d’une itération, entraînent le recalcul de l’itinéraire de cette paire OD à l’itération suivante. Cette composante de l’algorithme est peu présente dans les travaux similaires existant dans la littérature, mais pertinente à considérer car cela imite le processus de construction d’un réseau cyclable dans une ville. En effet, les utilisateurs d’un réseau de transport modifieront potentiellement leur itinéraire si de nouvelles infrastructures sont construites sur leur chemin.
Ces 4 étapes sont répétées itérativement jusqu’à ce que le budget kilométrique soit épuisé.
Étude de cas : arrondissements Rosemont, Villeray-St-Michel-Parc-Extension et Plateau Mont-Royal
Cette méthode est généralisable à n’importe quel territoire si les données nécessaires sont disponibles : un scénario de demande (liste de paires OD) et les données du réseau. Dans ce cas-ci, les données réseau sont obtenues grâce à OpenStreetMap et converties en un graphe spatial (liens et nœuds géocodés). À des fins de déboguage, il est plus facile de tester le fonctionnement sur un territoire que nous connaissons bien, donc les résultats présentés ici sont sur le territoire les trois arrondissements nommés ci-haut. Deux simulations ont été faites afin de montrer la variation du paramètre P_r (1,43 et 2,86 respectivement) sur les réseaux générés. Pour ces deux simulations, nous avons fixé les valeurs des paramètres de la fonction de bénéfice B permettant de favoriser la connexion des nouvelles infrastructures cyclables au réseau de transports en commun ou au réseau cyclable existant.

Résultats de l'algorithme. En rouge: le réseau cyclable protégé déjà construit en date de rédaction de l'article. Dégradé de jaune à mauve: Additions au réseau priorisées par l'algorithme, jaune étant le plus bénéfique. La figure de gauche montre un réseau accommodant moins de détours, tandis que sur celle de droite, on en permet plus. Les réseaux générés sont similaires dans leurs grands axes mais des différences notables en terme de priorisation sont présentes. - Source : Loïc Miara
À plus grande échelle : l’Île de Montréal
Cette méthode est également facilement applicable à des territoires à plus grande échelle. La prochaine simulation démontre son fonctionnement sur l’entièreté de l’Île de Montréal avec les mêmes paramètres que la simulation de droite de la dernière figure. On voit que les trous existants dans le réseau sont bouchés par l’algorithme.

Résultat de l'algorithme pour 150 km d'additions au réseau de l'Île de Montréal. Comme on accorde de l'importance à la connection avec le réseau de métro, toutes les additions suivent les lignes du métro. Il vaut donc la peine de répéter que ces résultats ne sont pas interprétables sans calibration attentionnée des paramètres. - Source : Loïc Miara
Perspectives de recherche
La méthode choisie semble prometteuse afin de faire grandir stratégiquement des réseaux cyclables existants. Cependant, une calibration attentionnée des paramètres sera nécessaire afin de générer des réseaux pertinents. Cela implique de répondre à des questions telles que de comparer le bénéfice entre relier le réseau cyclable à une station de métro, et permettre à un certain nombre d’utilisateurs de se rendre à leur destination sur une voie protégée, par exemple. Il sera également nécessaire de pouvoir comparer les réseaux générés entre eux grâce à différents indicateurs, pour pouvoir véhiculer les avantages et inconvénients de chaque réseau, ainsi que de comprendre l’impact des paramètres sur le type de réseau généré.
Cette méthode permettrait également de tester le potentiel d’infrastructures moins conventionnelles, telles que des ponts ou des tunnels cyclables, et de comparer leur attrait avec des voies cyclables sur rue. L’intégration de cette possibilité fait partie des travaux futurs, quoique l’étendue en sera limitée, car il serait trop chronophage pour l’algorithme de tester de grands nombres d’options d’infrastructures de ce type.
Déclaration d'intérêt des auteur·rices :
Les auteur·rices déclarent n'avoir aucun conflit d'intérêt qui aurait pu influencer le travail présenté dans cette publication.
Crédit de l'image de couverture :
Loïc Miara
Comment citer cette Nouvelle ?
Miara, L. et Morency, C. (2025). Développement d'un algorithme de priorisation de croissance de réseaux cyclables. Observatoire du vélo.
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