Moins de cyclistes… ou répartis autrement ? Le Réseau Express Vélo (REV) à l’épreuve des données

Cycliste sur le REV St-Denis à Montréal

Rédaction par

Georges A. Tanguay

Professeur titulaire, Université du Québec à Montréal

Gavin MacGregor

Agent de recherche, Université du Québec à Montréal

Mischa Young

Professeur adjoint, Institut National de la Recherche Scientifique

Cet article est un article de 2025, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Accès à l'article original. 

Introduction

Étendre le réseau cyclable ne suffit pas : encore faut-il que les infrastructures soient sécuritaires et bien situées. Une nouvelle étude montre que la qualité des aménagements joue un rôle clé dans leur fréquentation.

Depuis son lancement en novembre 2020, le Réseau Express Vélo (REV) de Montréal a transformé le paysage cyclable de la métropole avec ses infrastructures protégées et accessibles à l’année. Déployé en plusieurs phases depuis 2019, ce réseau ambitieux prévoit un total de 191 km de voies cyclables larges, sécurisées par des séparations en béton et dotées de feux de circulation prioritaires pour les cyclistes.

S’ajoutant aux 900 km d’infrastructures cyclables déjà existantes à Montréal, dont 218 km de pistes protégées, le REV constitue une avancée majeure en faveur de la mobilité active.

Parmi ses axes structurants, le corridor REV1 incarne l’ambition municipale d’accroître la part modale du vélo à 15 % d’ici 2027 dans l’agglomération de Montréal. Situé sur l’artère commerciale de la rue Saint-Denis et long de 8,7 km, il a enregistré plus de 1,5 million de déplacements en 2023, devenant ainsi la piste cyclable la plus fréquentée de Montréal.

Pourtant, certaines données laissent penser que l’achalandage des pistes cyclables est en baisse. Comment expliquer ce phénomène ?

Respectivement professeur titulaire et professionnel de recherche à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal, ainsi que professeur adjoint à l’Université de l’Ontario français, nos recherches portent sur l’économie urbaine, le transport et le développement durable, les technologies émergentes de transport et la mobilité urbaine.

Une baisse, vraiment?

L’implantation du REV1 a coïncidé avec la pandémie de Covid-19, ce qui a compliqué l’évaluation de son impact sur l’achalandage cycliste.

Pour mieux cerner son effet, nous avons analysé l’évolution de l’ensemble des flux cyclables à Montréal. Les comptages issus des capteurs installés le long des pistes cyclables, accessibles via le portail des données ouvertes de la Ville, ont révélé une évolution marquante de l’achalandage à vélo avant et après la pandémie.

Carte du réseau cyclable de Montréal - Source : Tanguay, MacGregor et Young

En utilisant la moyenne des passages des années 2018–2019 comme référence, nous avons observé une baisse d’environ 28 % du niveau de cyclisme en 2020. Cette diminution a été suivie d’une reprise contrastée : alors que la plupart des capteurs enregistraient une augmentation progressive de leur achalandage au fil des années, dépassant même les niveaux prépandémiques en 2023 (+3,4 % par rapport à la période de référence), les six capteurs situés à proximité et en parallèle au REV1 (par exemple à l’intersection de la rue Boyer et du boulevard Rosemont, et à l’intersection de la rue De Brébeuf et de la rue Rachel) ont affiché une baisse de fréquentation de 35 % comparé aux années de références.

Différence de passages des capteurs parallèles au REV1 - Source : Tanguay, MacGregor et Young

Reconstruire les données

La baisse d’achalandage sur les pistes parallèles suggère un transfert de cyclistes vers le REV1, ce qui est favorable, car davantage d’usagers empruntent désormais une infrastructure considérée comme plus sécuritaire. Le REV1 semble avoir attiré les usagers par son tracé plus direct, sa sécurité accrue et son implantation sur une artère commerciale constituant une destination majeure.

Ce transfert est particulièrement marqué dans les quartiers centraux où la circulation est dense. À titre d’exemple, nos résultats indiquent que 64 % des usagers ont, depuis les pistes parallèles au REV1, transféré vers celui-ci à la hauteur de la rue Rachel, contre 7 % à la hauteur de la rue Sauvé en 2023.

Compteur de cyclistes sur l'avenue Laurier, à Montréal

Le compteur de l'avenue Laurier permet de documenter les passages des cyclistes - Source : Sacha Tremblay, CC BY

De plus, notre analyse de la reprise du cyclisme post-pandémique nous a permis d’isoler l’effet de l’ajout du REV1 et d’estimer qu’il a pu générer entre 430 000 et 840 000 nouveaux déplacements cyclistes en 2023, selon la localisation des capteurs.

La sécurité, un vecteur névralgique

Ces observations s’inscrivent dans une tendance plus large mise en évidence par plusieurs études, qui soulignent l’influence déterminante de la sécurité sur les choix d’itinéraires cyclables. Les recherches montrent que l’absence de pistes protégées dissuade les cyclistes inexpérimentés d’utiliser le vélo comme mode de transport.

Il est démontré que les cyclistes privilégient les pistes cyclables séparées ou protégées aux voies non sécurisées et qu’ils sont disposés à parcourir une distance supplémentaire pour bénéficier d’une infrastructure plus sécurisée, avec une augmentation pouvant atteindre 67 % pour les voies hors rue.

En n'étant pas protégée, la piste cyclable bidirectionnelle sur la rue De Brébeuf ouvre la porte aux emportiérages - Source : Sacha Tremblay, CC BY

Il est également établi qu’ils acceptent un allongement du temps de trajet de 20 minutes afin d’emprunter une piste protégée. La sécurité constitue un facteur déterminant dans le choix des itinéraires, en particulier dans les zones à forte probabilité d’accident.

L’importance d’un réseau struturant

Notre étude confirme que l’expansion du réseau cyclable est bénéfique, mais que la qualité des infrastructures doit primer en cas de ressources limitées. Il est préférable d’investir dans des axes structurants et sécurisés, surtout en zones à forte circulation automobile. En complément, elle souligne l’importance d’installer des compteurs sur les nouvelles pistes cyclables, car sans données précises, la dispersion des cyclistes sur plusieurs itinéraires peut fausser l’achalandage et masquer une hausse réelle.

Ces constats contredisent l’approche récente du gouvernement ontarien, qui prévoit de démanteler des pistes cyclables protégées sur des axes majeurs au profit de rues locales moins adaptées. L’exemple le plus préoccupant est celui de la piste cyclable sur la rue Bloor, une artère commerciale majeure à Toronto, dont le remplacement par un réseau indirect et fragmenté compromettrait l’efficacité du réseau cyclable, et par conséquent, son utilisation par les cyclistes.

Le REV du boulevard Saint-Denis est non seulement unidirectionnel mais également protégé par un muret et des bollards - Source : Sacha Tremblay, CC BY

Ceci est d’autant plus préoccupant que des documents internes récemment dévoilés indiquent que le gouvernement ontarien est conscient que le retrait de ces pistes cyclables n’aurait probablement aucun effet sur la congestion routière, mais qu’il augmenterait les risques d’accident pour les cyclistes.

Montréal illustre avec le REV l’impact d’un choix politique ambitieux. Malgré une contestation initiale, le REV1 est désormais un succès. En offrant un corridor cyclable de haute qualité sur un axe stratégique, il a non seulement multiplié l’achalandage cycliste, mais aussi facilité la transition vers une mobilité plus sécuritaire et durable.

Recherche originale :

Young, M., MacGregor, G. et Tanguay, G. A. (2024). Analyzing the Impact of Montreal's Réseau Express Vélo (REV) on Surrounding Bike Lanes' Ridership and the COVID-19 Cycling Recovery. Sustainability, Volume 16

Déclaration d'intérêts des auteurs :

Georges A. Tanguay a reçu des financements de CRSH.

Gavin MacGregor et Mischa Young ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

Image de couverture :

Le REV à la croisée du boulevard Saint-Denis et de la rue Rachel, l'une des intersections cyclables les plus achalandées de Montréal - Source : Sacha Tremblay, CC BY

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