Intégrer la mobilité durable dans les processus décisionnels de réaménagement des rues

Rédaction par

Francis Marleau Donais

Résumé

Plusieurs villes ont adopté des politiques ou des plans avec des objectifs de mobilité durable, comprenant le réaménagement des rues et l’implantation de voies cyclables afin de favoriser le transport actif. Néanmoins, l’implantation d’un plan ou d'une politique de mobilité durable est souvent parsemée de divers obstacles organisationnels et communicationnels. Il est essentiel de mieux comprendre les pratiques et les processus décisionnels actuels afin de pouvoir surmonter ces différents obstacles. Ainsi, une série de rencontres de groupe a été organisée auprès de professionnels provenant de 11 moyennes et grandes municipalités dans la province de Québec, Canada. Les objectifs étaient de brosser un portrait des pratiques actuelles et de décrire les caractéristiques du processus décisionnel idéal des professionnels participants. 

Introduction

Au cours de la dernière décennie, un nombre croissant de politiques et de plans de mobilité durable ou active ont été adoptés par les villes québécoises. Ces plans visent à répondre aux nombreux impacts négatifs causés par un système de transport axé sur les déplacements automobiles (p. ex., pollution, enjeux de sécurité, étalement urbain, etc.). Ces plans et politiques comportent différentes actions visant à réduire l’utilisation de l’automobile, à promouvoir le transport collectif, à mieux intégrer la planification du territoire et des transports et à réaménager les rues pour encourager la mobilité active. Le réaménagement des rues lors des travaux de réfection est une mesure souvent mise de l’avant dans ces plans pour favoriser le transport actif et collectif. 

Toutefois, entre les pratiques attendues, conformes aux objectifs de mobilité durable, et les pratiques réelles, il existe souvent un décalage. L’implantation de ces plans dans la réalité est souvent confrontée à différents obstacles qui font échouer la réalisation de la vision énoncée. Une solution possible pour diminuer ce décalage est de changer l’emphase centrée sur la modification physique des rues vers un changement des pratiques et des comportements des organisations municipales et gouvernementales. Dans les faits, mieux comprendre l’environnement institutionnel et les processus décisionnels sont des prérequis pour assurer une meilleure intégration de la mobilité durable dans le réaménagement des rues, dont l’intégration de voies cyclables.

Des ateliers de groupe pour mieux comprendre les processus décisionnels

Dans cette optique, des ateliers de groupe auprès de professionnels de 11 villes québécoises avec une population se situant entre 40 000 et 500 000 habitants ont été organisés (Brossard, Drummondville, Gatineau, Granby, Laval, Lévis, Rimouski, Saint-Jean-sur-Richelieu, Sherbrooke, Trois-Rivières et Victoriaville). Ces ateliers avaient pour objectif de mieux comprendre les processus décisionnels actuels et d’explorer les processus décisionnels idéaux des professionnels pour la réfection et le réaménagement des rues. Les ateliers regroupaient des professionnels provenant de différents domaines (infrastructure, transport, environnement, urbanisme et géomatique) et occupant différentes fonctions (directeurs, chefs de service et professionnels). Au total, ce sont 87 professionnels et un élu qui ont été rencontrés. 

Afin de structurer les échanges, les processus décisionnels des municipalités ont été représentés dans un schéma général du processus décisionnel pour le réaménagement et la réfection des rues. Ensuite, les concepts formant le processus décisionnel idéal des professionnels ont été structurés afin de représenter les relations de cause à effet et ainsi identifier les buts et objectifs de ces processus idéaux et les actions pour y arriver.

Un processus centré sur la désuétude des infrastructures

La schématisation des processus décisionnels des municipalités a montré que ceux-ci étaient principalement organisés autour du service de l’ingénierie et de la désuétude des infrastructures (voir la figure ci-dessous). Cette structuration autour du service de l’ingénierie s’explique par les subventions qu’offrent les gouvernements provincial et fédéral pour réhabiliter les infrastructures en fonction de leur désuétude (principalement les infrastructures en eau). Afin d’être éligibles, les municipalités se doivent d’ausculter leurs infrastructures pour en connaître l’état et produire un plan d’intervention. Conséquemment, à l’exception de projets spéciaux, les professionnels des autres services sont impliqués dans les projets seulement une fois que les rues sont choisies pour réfection. Dans toutes les villes, les professionnels avaient au moins un exemple de projet qui avait créé des frustrations ou des déceptions en lien avec le manque d’intégration des autres domaines plus tôt dans les projets.

Processus décisionnel général pour la réfection et le réaménagement des rues - Source : Francis Marleau Donais

Dans les faits, plusieurs municipalités n’ont pas un processus clair pour intégrer les plans, les politiques et les normes (PPN) dans le réaménagement des rues et prioriser les dimensions de mobilité active, environnementale et sociale de la rue. Il y a un besoin de développer des indicateurs qui mesurent ce potentiel afin de prioriser. Par exemple, plusieurs municipalités s’étaient dotées d’un plan directeur du réseau vélo, mais peu avaient effectué une priorisation de ces futures voies cyclables. L’intégration des PPN des différents domaines dans les bases de données géospatiales a été identifiée comme une solution pour aider à trouver les projets ayant le plus de potentiel. Pour les voies cyclables, les aménagements transitoires sont une alternative rapide et peu onéreuse à mettre en place en attendant l’intégration à des travaux de réfection pour les municipalités. Cependant, cela ne règle pas l’enjeu de priorisation.

La sphère sociale et politique a aussi une influence. Les élus ont leur mot à dire dans ces processus décisionnels. Selon les municipalités, leur influence est variable. Certains élus veulent dépolitiser le processus et se baser sur des critères techniques alors que d’autres veulent un plus fort contrôle sur le choix des projets. Les citoyens peuvent également influencer le choix et l’aménagement des rues en déposant des requêtes ou de plaintes, en présentant leur point de vue lors de consultation citoyenne ou en exerçant de la pression sur leurs élus.

Somme toute, les programmes de subvention axés sur la réfection des rues et le processus décisionnel qui en découle créent un déséquilibre et limitent les possibilités pour changer les processus décisionnels actuels et prioriser les rues différemment. 

Des lignes directrices pour une meilleure intégration de la mobilité durable

Face à ce constat, les professionnels des municipalités ont exprimé trois principales idées pour améliorer les processus décisionnels afin d’aménager des rues qui intègrent mieux la mobilité durable :

  1. une intégration des différentes disciplines afin d’avoir une vision cohérente et globale;
  2. une amélioration de la communication entre professionnels, élus et citoyens afin d’assurer l’acceptabilité sociale, d’intégrer les préoccupations des citoyens et de mieux justifier les recommandations;
  3. une planification des projets à plus long terme pour saisir les opportunités d’intégration et éviter d’agir en réaction aux événements afin d’améliorer les projets. 

Ainsi, pour améliorer l’intégration de la mobilité durable dans les processus décisionnels pour la revitalisation des rues, une série de neuf lignes directrices est proposée. 

  1. Identifier des circonstances antérieures qui pourraient instaurer des changements dans le processus décisionnel actuel (p. ex., l’échec d’un projet d’aménagement des voies cyclables).
  2. Identifier des champions qui vont au-delà des frontières disciplinaires pour expliquer l’importance du transport durable et la pertinence de changer le processus décisionnel (p. ex., un chef de service peut promouvoir le projet auprès de son équipe).
  3. Définir des directives générales sur lesquelles les professionnels peuvent se baser durant le développement du nouveau processus décisionnel.
  4. . Créer une structure de collaboration, comme un comité permanent multidisciplinaire, qui regroupe les différents professionnels concernés par le réaménagement des rues.
  5. Définir une vision commune du rôle que les rues devraient jouer au sein de la ville.
  6. Examiner les plans, les politiques et les normes (PPN) et analyser leur niveau d’intégration dans les processus décisionnels et considérer comment ils pourraient être intégrés dans le nouveau processus décisionnel
  7. Développer les données dans un système d’information géographique en intégrant les différentes informations dans les PPN.
  8. Développer un outil cartographique multicritère pour définir les critères, évaluer les rues selon une perspective multidisciplinaire et créer une liste des rues à prioriser pour le réaménagement.
  9. Évaluer les résultats du nouveau processus décisionnel et de l’outil, puis améliorer l’outil et le processus en fonction de la rétroaction

La réalisation de ces lignes directrices présente de nombreux défis, dont gérer la résistance au changement et assurer le soutien des élus pour une telle démarche. Un changement dans les programmes de subventions gouvernementales pour inclure des considérations environnementales, urbanistiques ou de transport lors de la réfection des rues pourrait inciter les municipalités à changer leurs pratiques. Pour reprendre les mots d’un directeur de l’urbanisme : Les municipalités au Québec, leur déclencheur, c’est l’ingénierie, car c’est un appel à la rénovation des rues et non pas un appel à la transformation.


Les municipalités ont besoin de nouveaux outils, stratégies et processus décisionnels pour changer leurs pratiques actuelles. Le chantier de travail pour améliorer l’intégration de la mobilité durable dans les processus décisionnels pour le réaménagement des rues n'est pas terminé.

Recherche originale :

Marleau Donais F., Abi-Zeid, I., Waygood, O.D. et Lavoie, R. (2022). Municipal decision-making for sustainable transportation: Towards improving current practices for street rejuvenation in Canada. Transportation Research Part A: Policy and Practice, Volume 156

Déclaration d'intérêt de l'auteur :

L'auteur déclare n'avoir aucun conflit d'intérêt qui aurait pu influencer le travail présenté dans cette publication.

Crédit de l'image de couverture :

Francis Marleau Donais

Comment citer cette Nouvelle ? 

Marleau Donais, F. (2025). Intégrer la mobilité durable dans les processus décisionnels de réaménagement des rues. Observatoire du vélo

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